À quelques semaines de la fin,
l'expo PROHIBITION à l'honneur dans Le Devoir

À la frontière de la prohibition
Le Musée de Sutton raconte l’histoire de l’eau-de-vie à la limite canado-américaine
Le Devoir, 13 septembre 2013 | Caroline Montpetit
Un bar reconstitué pour les fins de l’exposition au Musée d’histoire et de la communication de Sutton, dans les Cantons-de-l’Est. Photo : Richard Leclerc, Publici-Terre



Tentative de meurtre, trafic d’alcool, prostitution… Avec ses collines verdoyantes et ses airs bucoliques, le village de Sutton, dans les Cantons-de-l’Est, a une histoire plus mouvementée qu’elle n’en a l’air. C’est une partie de ce passé que raconte son petit Musée d’histoire et de la communication avec une exposition sur la prohibition à la frontière canado-américaine, dans cette région du Québec.

Bien avant que la Loi sur la prohibition ne soit adoptée aux États-Unis, les cercles de tempérance prônaient déjà, dans les milieux anglophones québécois, une forme de prohibition qui aurait pris place au Canada.

William Smith, alors chef de gare à Sutton Junction, était le représentant de l’un de ces cercles, la Dominion Alliance. Il milite contre les hôtels de Sutton et d’Abercorn où l’alcool coule à flot. Le 8 juillet 1894, Smith est sauvagement agressé dans son sommeil. Selon l’historien Laurent Busseau, qui offre des visites guidées de l’exposition, c’est une tentative de meurtre.

Mais, déjà en 1864, soit 55 ans avant la loi fédérale prohibant l’alcool aux États-Unis, la loi canadienne Dunkin, qui deviendra ensuite la loi Scott, permet à des comtés ou à des municipalités d’interdire par vote majoritaire la vente d’alcool au détail. Au Québec, l’arrondissement de Verdun s’en est d’ailleurs prévalu jusqu’à tout récemment.

En 1898, le premier ministre du Canada, Wilfrid Laurier, soumet un référendum aux Canadiens concernant l’application d’une loi fédérale sur la prohibition. Le Québec, sous l’influence de l’Église, s’y oppose.

« L’Église catholique luttait contre l’alcoolisme à l’intérieur de ses propres structures, commente Laurent Busseau. Mais elle s’opposait à une loi qu’elle disait britannique et protestante et a fait échouer le vote. »

Une passoire
Dix ans plus tard, une loi fédérale prohibe la vente d’alcool sur tout le territoire des États-Unis. Dans le comté de Brome, qui comprend un large espace frontalier peu contrôlé par les autorités, le trafic se poursuit de plus belle. Des voitures puissantes franchissent les frontières à toute vitesse pendant la nuit et les écrans de fumée dégagés par les pots d’échappement permettent d’éviter les poursuites policières. « À cette époque, la frontière est une passoire », raconte Laurent Busseau.

En fait, de nombreuses maisons sont construites directement sur la frontière, avec une porte dans chaque pays, ce qui favorise, bien sûr, le trafic d’alcool. L’une des plus célèbres est celle de Queen Lil, de son vrai nom Lilian Miner, un bordel sur la frontière canado-américaine entre le village d’Abercorn, voisin de Sutton, et East-Richford, aux États-Unis. La position géographique de sa maison rendait la tâche difficile aux policiers américains puisque les consommateurs d’alcool se tenaient systématiquement du côté canadien, en cas de descente.

C’est pour cette raison que le 12 juin 1925, les corps policiers des deux pays ont effectué une descente conjointe, à 3 h du matin, qui s’est soldée par l’arrestation de plusieurs personnes, dont une mineure trouvée nue. Queen Lil s’en tire alors avec une amende.

La Police des liqueurs
De son côté, le gouvernement québécois innove en 1921 en créant l’ancêtre de la Société des alcools du Québec, la Commission des liqueurs, calquée sur le modèle suédois, poursuit M. Busseau, « pour gérer la consommation d’alcool ». Dès sa première année d’existence, l’institution génère des revenus d’un million de dollars !

Au même moment survient ce qu’on appellera la Police des liqueurs, qui deviendra la Sûreté du Québec. L’exposition de Sutton compte d’ailleurs quelques artefacts appartenant au musée de la Sûreté du Québec, dont un alambic et un ancien uniforme de la Police des liqueurs.

À la fin des années 1920, la crise économique essouffle le trafic d’alcool. Aux États-Unis, la prohibition est un échec. Les Américains n’ont jamais autant consommé d’alcool que durant cette période ; le crime organisé et la corruption ont pris le contrôle de ce secteur d’activité. Puis, la loi américaine sur la prohibition est abandonnée en 1933.

L’hôtel de Queen Lil, comme beaucoup de propriétés sur la frontière canado-américaine, disparaît dans un incendie. La dame Lilian Miner deviendra pour sa part propriétaire terrienne. Ne reste plus, dans la municipalité de Stanstead, à une centaine de kilomètres de là, que la bibliothèque municipale, qui continue de chevaucher les deux pays.

Et, en fait, depuis les événements de septembre 2001, le personnel de l’établissement, en plus de ses fonctions éducatives, y a pour mission de contrôler les passages.

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